Mais à quoi joue Azali Attoumani ?


            Le général Azali Attoumani, élu nouvellement président de la République Fédérale Islamique des Comores en mars dernier, achève une tournée internationale de plus d’une semaine au cours de laquelle il a rencontré quatre des principaux interlocuteurs majeurs de l’Etat comorien. Il est allé à l’île Maurice où il a rencontré un membre du gouvernement de l’Etat ainsi que le Secrétaire Général de la COI. Puis au Rwanda, il a participé à la 27e conférence de l’Union Africaine, pour finalement rencontrer les préfets de Mayotte et de la Réunion, avant de terminer son périple international au Mali et en Mauritanie pour le sommet de la Ligue Arabe. A Maurice, et au Rwanda il a tenu un discours anti-français pour rassurer les représentants du gouvernement français de l’océan indien après sur le caractère français de Mayotte. Ces apparentes contradictions ne sont pas incohérentes et révèlent la situation dans laquelle se retrouve l’Etat comorien ainsi que celle de son dirigeant actuel.



La situation internationale des Comores
            Les Comores sont enfermées dans une double crise économique mais aussi politique, toutes deux ancrées depuis plusieurs décennies. Le mal-développement, engendré par l’instabilité politique initiale du jeune Etat, dû à la mauvaise gouvernance de ses dirigeants, s’est enfoncé depuis 1975. Le PIB comorien est toujours en grande partie dépendant de l’aide internationale et des remises de la diaspora comorienne. Les investisseurs internationaux comme les parfumeurs de Grasse pour les fleurs d’ylang-ylang se sont détournés de l’archipel trop instable politiquement. Les faibles exportations n’ont plus suffit à couvrir les importations très importantes en riz, ce dont profitaient certains dirigeants comoriens comme les proches d’Ahmed Abdallah, ayant un monopole sur son importation. Mais le développement humain et économique n’avançant pas, les coups d’Etats se succédant, des graves crises politiques ont secoué l’archipel au cours des années 1990.

            Ces crises recouvrent un véritable phénomène de balkanisation des Comores dans les années 1990s. L’île d’Anjouan avait alors fait sécession avec Mohéli de Grande-Comore dont le nouvel homme fort n’était autre que le général putschiste…Azali Attoumani. La grave déliquescence de l’Etat comorien éclatait au grand jour. Il a fallu renouer le contact alors par la force des armes fournies par l’Organisation de l’Union Africaine qui avait forcé le pouvoir putschiste illégal et illégitime grand-comorien à organiser des élections et à mettre en place une nouvelle constitution fédérale. 

            Cette situation internationale fragile oblige l’Etat comorien a travailler ses relations internationales, à améliorer son image. Or, l’argument majeur qui lui a attiré le plus d’amitiés internationales, et qui lui a conféré une stature internationale est son combat anticolonialiste contre la France. Cet argument est donc ressorti et a poussé le nouveau Secrétaire Général de la Commission de l’Océan Indien à l’erreur que nous avons déjà analysé dans l’article La Commission de l'océan indien, les Comores, Mayotte. Le nouveau président des Comores s’est resservi de cet argument auprès des partenaires traditionnels comme Maurice, la COI ou l’UA. Il se revêt ainsi d’une légitimité auprès des Comoriens en prenant une posture internationale et noue des liens auprès de ses partenaires en se basant sur une constante du discours politique comorien.

            Mais cet argument a aussi une valeur à l’intérieur de Comores, une valeur de ciment national autour de valeurs communes qui permettent de réunifier un Etat fragmenté.

La posture internationale de l’Etat comorien et son rôle dans la politique intérieure des Comores.
            L’argument anti-colonialiste et irrédentiste de l’Etat comorien sert aussi sur le plan intérieur. En effet, comme il a été décrit plus haut, l’Etat comorien possède une unité nationale fragile et incertaine, soumise aux dirigeants et à leur pratiques du pouvoir. Les ressources de l’Etat comorien profitent souvent plus à son village d’origine qu’aux comoriens...

            Cette donnée est accentuée aujourd’hui par la personnalité et le passif du président Azali. Il ne s’agit pas d’un homme neuf en politique. Il a comme responsabilité, en partie, la sécession d’Anjouan, le débarquement raté sur l’île de l’armée comorienne et l’aggravation de cette crise. Ses relations avec les notables et la population anjouanaise ne sont pas au mieux et son mandat est redouté par eux.

            Pour maintenir cette unité, un ennemi commun, un responsable extérieur à tous les maux doit être trouvé. En l’occurrence, dans le cas des Comores, il s’agit de la France avec le « démembrement » de l’archipel par l’ancienne métropole qui est pointé du doigt, et ce, de façon constante, par tous les présidents comoriens depuis l’indépendance comorienne. La sécession de Mayotte serait un précédent  pour les autres îles comme Anjouan se revendiquant de Mayotte lors de sa sécession dans les années 1990. L’incompétence et la corruption notoire des dirigeants de l’Etat comorien sont ainsi effacée par ce « vol » originel fait par la France.

            L’argument irrédentiste mahorais sur Mayotte est donc remobilisé auprès de ses partenaires traditionnels des Comores qui existent et ont obtenu ces soutiens justement avec ces accords. Lors du voyage au Mali d’Azali, il aura sûrement été question de Mayotte. Le combat pour l’émancipation et anti-colonisaliste des Maliens trouve avec Mayotte une extension et sans connaître correctement les problématiques comoriennes, des Etats de l’Union Africains soutiennent les Comores contre la France. Ainsi, par idéologie, par un argument, ils seraient prêts à occulter le droit d’un peuple à disposer de lui-même. Les droits du peuple Mahorais sont bafoués par distance géographique et culturelle de ces acteurs, engagés dans un combat différent.

            Mais alors, comment expliquer ce double-discours mené avec les autorités françaises ? Comment expliquer qu’Azali a traité directement avec le préfet de Mayotte, représentant du président de la République française et représentant de l’attachement de Mayotte aux Français ?

Le double discours mené avec le partenaire français d’Azali.
            Azali a traité directement avec le préfet de la Réunion et celui de Mayotte peu après le Sommet de l’Union Africaine. Il faut d’abord apporter quelques précisions protocolaires à cette rencontre. Les préfets sont des représentants du Président de la République française. Ils sont son corps, sa parole dans chaque département français. Dans les départements d’outre mers, ils ont des pouvoirs et responsabilités élargies. Le Président de la République étant le chef de la diplomatie et le Commandant des Armées, les préfets dont la département est éloigné de la métropole ont de tels pouvoirs élargis. La France étant dispersée sur les cinq continents, le Président ne peut être dans chaque discussion, dans chaque rencontre, négociation. Il délègue sa responsabilité à ces préfets, qui ont des pouvoirs militaires et diplomatiques élargie en comparaison de leurs homologues en métropole. Il s’agissait donc bien d’une rencontre diplomatique.

            Les Comores, en réalité ont la France comme partenaire essentiel, vital. La quasi-totalité de sa diaspora réside en France, à Marseille essentiellement. Les remises des expatriés comoriens représentants près du tiers du PIB des Comores. De même, les Comores possèdent un traité de coopération militaire avec la France, ce qui en fait un allié de premier plan. Une visite, un premier contact officiel avec ce partenaire est donc par conséquent incontournable.

            Ne pas parler de Mayotte en tant qu’île comorienne devant retourner dans le giron des Comores, et discuter avec le préfet de Mayotte n’est pas anormal puisque les négociations portaient sur un nouvel aspect qui sera déterminant pour le développement des Comores dans leur ensemble, avec une île de Mayotte française.

            En effet, comme nous l’avons vu dans un autre article, les positions des Comores et de la France sont inconciliables, donnant un conflit insoluble. Mais chacun a compris la nécessite de ne pas rester opposé fondamentalement, des frontières fermées au sein des Comores ne sont pas envisageables pour Mayotte comme pour les Comores. La relative prospérité de Mayotte, par rapport à ces voisins entretient des flux d’immigration soutenus et illégaux donc risqués pour ses habitants. Un article pus détaillé sera publié sur l’immigration irrégulière à Mayotte. La seule option viable entre ces partenaires est une solution de co-développement, faisant fi des nationalités entre les Comores et Mayotte, intégrer Mayotte au sein de son environnement régional, afin de susciter une croissance économique et un développement endogène.

            Cette solution qui mérite de plus amples développements, aurait le mérite de permettre à chacun de s’en sortir la tête haute de l’impasse diplomatique dans laquelle se trouve les Etats de l’océan indien sur Mayotte.

            Les grandes lignes d’un développement des îles comoriennes entre la République Fédérale Islamique des Comores et la France a donc été sur la table des négociations entre les partenaires.

            Pour conclure, Azali Attoumani pense une politique de développement pour les Comores, en restant dans la continuité de la politique étrangère des Comores depuis son indépendance avec la possibilité d’une ouverture pour le développement. Une telle solution nécessite une implication et une bonne volonté de la part de chacun des acteurs politiques, économiques et sociaux. De plus, elle nécessite le dépassement de préjugés accumulés depuis des décennies entre chacun, le fait de dépasser l’accusation de la France de sa politique néo-coloniale, de la pusillanimité des Comoriens, et leur incapacité supposée à prendre leur destin en main. Une telle option nécessite de penser la Comores non en termes politiques mais en termes culturels, sociaux et économiques, alors que la situation politique elle n’a que peu de risques de changer de son statut quo actuel.     


Florentin Brocheton-août 2016-Fourmie de Baobab
           

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire